17/04/2015

Un projet de loi qui n'inquiète pas le renseignement extérieur

Le projet de loi relatif au renseignement, a été adopté en première lecture à l'Assemblée nationale dans le cadre d'une procédure d'urgence et après un débat rapide en commission des lois. Parmi les différentes mesures prévues par le projet de loi, traitées dans un précédent article de Zone d'Intérêt, figure l'encadrement des « mesures de surveillance internationale » qui relèvent principalement du renseignement extérieur.

Ces mesures d'encadrement figurent dans l'article 3, chapitre IV du projet de loi et stipulent que l'interception des communications « émises ou reçues à l'étranger » sont soumises à l'autorisation du Premier ministre, ou des personnes spécialement déléguées par lui. Cette disposition légale semble encadrer assez précisément l'interception des communications à l'étranger, avec un contrôle a posteriori de la future Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR).

Cet article de loi a, selon l'exposé des motifs donné par le rapporteur de la loi, l'ambition de faire rentrer dans le cadre de la loi la pratique, souvent clandestine, des interceptions de communications par le renseignement extérieur.

« Ce type de surveillance, qui représente un besoin crucial, s’exerçait donc sans encadrement juridique ; ce projet de loi y remédie, et il s’agit d’un progrès décisif. » 
- Extrait du rapport de Jean-Jacques Urvoas, 2 avril 2015



En analysant cette mesure d'encadrement, Zone d'Intérêt avait émis des doutes sur son applicabilité, notamment parce que les interceptions de communication émises ou reçues à l'étranger sont menées par plusieurs services, la DGSE et la DRM en premier lieu, mais également par plusieurs unités militaires. Or si les régiments spécialisés qui procèdent au recueil du renseignement d'origine électromagnétique (ROEM) le font parfois au profit de « services spécialisés de renseignement » (DRM, DGSE...) qui relèvent du ministre de la Défense ou du Premier ministre, il le font également à leur propre profit, et à celui du commandement en opérations comme de l'état-major. Ainsi, ces unités qui ne relèvent pas organiquement des services spécialisés de renseignement, ni de l'autorité du Premier ministre, mais en dernière ligne du Président de la République chef des armées, auraient du se soumettre à une demande d'autorisation auprès des services du Premier ministre. Cet élément posait un premier problème, tant réglementaire qu'opérationnel, mais n'a pourtant fait l'objet d'aucune demande d'amendement de la part du ministre de la Défense pendant toute la durée de l'examen en commission et en séance publique.

De manière intéressante, Benard Bajolet, directeur général de la sécurité extérieure, se montrait plutôt satisfait du projet de loi lors de son audition devant la commission de la défense nationale et des forces armées. Cela peut surprendre lorsqu'on connaît la posture traditionnelle de la DGSE, assez peu encline à voir ses prérogatives se restreindre ou sa marge de manœuvre opérationnelle se trouver engoncée dans un carcan législatif.

« L’article le plus important pour mon service est celui relatif à la surveillance internationale. Cet article L. 854-1 prend en considération la réalité des activités que nous menons. Sa rédaction nous convient. »
- Bernard Bajolet, directeur de la DGSE, 24 mars 2015

Enfin, il est surprenant d'imaginer que le gouvernement veuille se plonger dans l'encadrement des interceptions de communication menées par le renseignement extérieur, alors même que le Conseil d'Etat l'en dispense largement. Cette disposition est d'ailleurs bien connue du rapporteur de la loi, qui est également le président de la Délégation parlementaire au renseignement (DPR) et qui a signé son rapport d'activité pour l'année 2014. Dans ce rapport est cité un avis du Conseil d’État qui souligne que les communications émises ou reçues à l'étranger échappent en réalité largement au champ d'application de la loi française.

« Tout comme la légitimité des surveillances des communications électroniques par les pouvoirs publics n’est pas douteuse dans son principe, le fait que les garanties entourant l’interception des communications soient moindres lorsqu’elles concernent l’étranger se justifie aisément. Comme le rappelle encore lumineusement le Conseil d’État, « dès lors que les personnes situées à l’étranger échappent à la juridiction de l’État, l’interception de leurs communications n’est pas susceptible de porter atteinte à leurs droits dans la même mesure que si elles se situaient sur le territoire » »
- Extrait du rapport d'activité de la DPR pour l'année 2014

Comment expliquer alors que le gouvernement cherche à encadrer l'interception des communications « émises ou reçues à l'étranger », alors même que le Conseil d'Etat ne semble pas considérer cela comme nécessaire et tout en satisfaisant la DGSE ?

Lire la loi avec un miroir

Selon des éléments d'information complémentaires sollicités par Zone d'Intérêt, il faut s'attacher à considérer ce que la loi ne stipule pas et lire certaines dispositions de l'article 3 à revers pour mieux comprendre que le projet de loi encadre finalement très peu le renseignement extérieur.

Dans le chapitre IV de l'article 3, il est bien précisé que l'autorisation du Premier ministre concerne « la surveillance et le contrôle des communications qui sont émises ou reçues à l’étranger ». Mais il n'est jamais fait mention du lieu de l'interception. Or comme l'a rappelé le Conseil d'Etat ce qui se passe hors du territoire national tend à échapper au champ de l'application de la loi française, surtout si celle-ci ne le stipule pas explicitement.

Le projet de loi encadrera uniquement l'interception des communications menée depuis le territoire national, c'est-à-dire les communications qui transitent par les câbles, lignes téléphoniques et voies hertziennes (communications par satellite, téléphonie mobile, HF...) qui peuvent être captées depuis la France.


Ainsi aucune des interceptions de communications qui seront menées hors de France par les services de renseignement (DGSE, DRM...), les régiments spécialisés, des stations d'interception clandestines, des bâtiments, sous-marins ou aéronefs, ou des services alliés, ne seront concernées par la loi.

La rédaction de l'article 3 pose également question quant aux protections supplémentaires censées être accordées aux communications « émises ou reçues à l'étranger » qui « renvoient à des numéros
d’abonnement ou à des identifiants techniques rattachables au territoire national », c'est à dire des communications émises ou reçues par des citoyens français sur le territoire français, ou par des personnes résidant en France. Ces communications, lorsqu'elles sont interceptées, doivent faire l'objet d'un contrôle de la CNCTR, ce qui n'est pas le cas des communications émises de l'étranger vers l'étranger.

Mais comme l'article précise que « ces mesures sont exclusivement régies » par l'article 854-1 qui ne s'applique pas hors du territoire français, les communication des Français auront-elles droit à ces mêmes protections si elles ont interceptées par les services de renseignement à l'extérieur du territoire national ?

Jusqu'à présent, les communications des Français constituaient un « no go » pour la DGSE qui s'interdit officiellement d'exploiter toute communication d'un citoyen français sans respecter le cadre prévu par la CNCIS. Selon un article de l'Opinion, à la DGSE : « la première chose que font nos logiciels est de vérifier s'il s'agit d'une communication française ».

Cette ligne de conduite officielle de la DGSE ne relève pas aujourd'hui d'une loi précise, mais d'une interprétation en interne de la jurisprudence de la CNCIS, ce qui est rappelé par le DGSE en audition, sans préciser toutefois si son service s'astreint à respecter les mêmes règles si l'interception est menée à l'étranger.

« C’est grâce à la jurisprudence, que l’on peut qualifier de créative, de la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité (CNCIS) que nous avons pu combler le fossé qui s’est progressivement élargi entre les dispositions légales et l’évolution des techniques. Nous travaillons sur la base de cette jurisprudence. C’est certes un cadre légal mais, dans le système français où la jurisprudence n’a pas la même force que dans les pays anglo-saxons, une telle base juridique est malgré tout assez fragile. » 
- Bernard Bajolet, directeur de la DGSE, 24 mars 2015

La CNCIS qui est à l'origine de cette jurisprudence est appelée à disparaître au profit de la CNCTR et le nouvel article 854-1 deviendra le seul texte de référence auquel la DGSE sera tenue de se plier concernant l'interception des communications émises ou reçues à l'étranger.

Il est difficile d'avoir la certitude que si une communication « rattachable » à un Français est interceptée hors du territoire nationale, celle-ci bénéficiera des garanties prévues par l'article 854-1 alors même que celui-ci s'applique uniquement en France.

Sur un plan purement pratique, même si le projet de loi indique que la CNCTR pourra « disposer d'un accès permanent […] à tous les locaux dans lesquels s'exerce la centralisation de ces renseignements », elle pourra difficilement contrôler les renseignements recueilles dans d'éventuelles stations clandestines des services de renseignement à l'étranger ou dans les régiments spécialisés en opérations extérieures, qui de toute façon ne relèvent pas de sa juridiction.

Une interprétation particulièrement retorse de la loi pourrait même pousser certains services à délocaliser hors du territoire national certaines de leurs activités de recueil de renseignement afin d'échapper à cet encadrement légal. Il est même envisageable que si une communication est recueillie, traitée et analysée hors du territoire nationale, elle puisse ne jamais être touchée par l'application de la loi. Il deviendrait alors difficile de caractériser dans un sous-produit de renseignement telle qu'une note ou une analyse, des informations recueillies qui ont pu relever à un moment du champ d'application de la loi française ou de ce qui y a toujours échappé.

D'autres desiderata du DGSE

On comprend donc que le renseignement extérieur restera largement épargné par l'application de la future loi relative en renseignement si elle est votée en l'état.

Il est toutefois intéressant de noter que la direction générale de la sécurité extérieure semble vouloir être dotée d'exemptions plus larges, tant en matière d'interceptions de communications que dans ses opérations clandestines à l'étranger.

En audition devant la Commission de la défense nationale, Bernard Bajolet a demandé à ce qu'une réflexion soit entamée afin de créer un statut qui protégerait moins les communications des étrangers de passage en France que celles des citoyens français. Ces communications deviendraient alors « fair game » pour la DGSE au même titre que lorsqu'elle intercepte des communications à l'étranger.

« La loi ne comporte pas à ce stade de distinction entre les étrangers de passage en France et les personnes de nationalité française ou résidant habituellement sur le territoire. La réflexion est cependant pertinente, dans la mesure où mon service est amené à suivre des objectifs étrangers lorsqu’ils se trouvent sur le sol national. Cela n’est pas explicitement pris en compte par la loi. »
- Bernard Bajolet, 24 mars 2015

Dans son article 10, le projet de loi prévoit une forme « d'exemption pénal » en faveur des agents des services de renseignement lorsqu'ils mènent des opérations de lutte informatique offensive hors du territoire national. En effet, le chapitre du code pénal relatif aux « atteintes aux systèmes de traitement automatisé de données » ne s'appliquera alors plus aux agents.

Le directeur général de la sécurité extérieure a demandé à ce que cette exemption soit étendue à toutes les activités que mènent les agents de renseignement à l'étranger.

« La disposition est donc limitée, et nous serions favorables à une mesure qui assurerait la protection pénale, dans leur propre pays, des agents pour l’ensemble des activités qu’ils mènent à l’extérieur de nos frontières, dès lors que celles-ci relèvent de leurs missions telles que définies par la loi. »
- Bernard Bajolet, 24 mars 2015

Des agents de la DGSE peuvent en effet être amenés à s'affranchir de nombreuses lois lorsqu'ils opèrent à l'étranger. Les activités de la DGSE comprennent également des actions clandestines, menées en particulier par son Service Action. Ce service est parfois amené à conduire des « opérations d'entrave » ou autres « direct actions » telles que qualifiées par les services anglo-saxons, avec des règles d'engagement particulièrement agressives et qui mettent parfois en péril des vies humaines. Un exemple de ces opérations est notamment celle qui a été menée en Somalie en janvier 2013, avec pour objectif la libération de l'otage Denis Allex.

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